Aux origines de l’Islam

L’islam, né au 7e siècle dans la péninsule arabique, est souvent perçu comme une religion radicalement nouvelle. Pourtant, ses racines historiques et spirituelles plongent profondément dans le judaïsme et le christianisme. Le Coran lui-même se présente comme un rappel, une confirmation, et une rectification des révélations précédentes. Mais à l’éclairage de l’histoire, des débats surgissent : dans quel contexte religieux exact l’islam est-il né ? Quelle a été l’influence du christianisme dans ce processus ? Et comment ces éléments s’accordent — ou s’opposent — à la tradition musulmane ?


1. Le contexte religieux de l’Arabie préislamique

Au moment de la naissance de l’islam, l’Arabie n’était pas isolée. Elle était traversée par des caravanes, des idées et des influences venues de l’Empire byzantin chrétien, de l’Empire perse zoroastrien, mais aussi de communautés juives et chrétiennes déjà installées dans la région.

Des traces de judaïsme et de christianisme sont présentes en Arabie du Nord (notamment à Médine) et au Sud (Yémen, Najrân). On parle souvent d’un christianisme oriental, parfois nestorien ou monophysite, avec une théologie parfois différente de celle de l’Église romaine. Ces groupes minoritaires étaient actifs dans la liturgie, l’enseignement et la prédication.


2. Le Coran dans un monde déjà « scripturaire »

Le Coran se positionne dans un dialogue clair avec les traditions bibliques :

« Il a fait descendre sur toi le Livre avec la vérité, confirmant ce qui était avant lui. Et Il fit descendre la Torah et l’Évangile. »
(Coran, 3:3)

Le texte coranique mentionne de nombreux personnages bibliques (Abraham, Moïse, Jésus, Marie, etc.) et s’adresse aux « gens du Livre » (ahl al-kitāb), terme qui désigne les juifs et les chrétiens. Il reproche parfois à ces communautés d’avoir altéré ou oublié leur message d’origine :

« Ô gens du Livre, ne commettez pas d’excès dans votre religion… Le Messie Jésus, fils de Marie, n’était qu’un messager de Dieu… »
(Coran, 4:171)

On peut y lire une volonté de recentrer le monothéisme sur la pureté abrahamique, débarrassée de tout excès dogmatique (comme la Trinité, vue dans le Coran comme une forme de déviation).


3. Le prophète Muhammad dans ce paysage religieux

Selon la tradition islamique, Muhammad, issu de la tribu mecquoise des Quraysh, reçoit la révélation de l’ange Gabriel vers 610, alors qu’il médite dans la grotte de Hira. Il est décrit comme « ummi » — souvent compris comme « illettré », mais que certains traduisent aussi par « non instruit dans les Écritures ».

Or, dans un contexte aussi imprégné de traditions bibliques, plusieurs chercheurs (historiens, orientalistes, islamologues) se demandent : comment ce message aussi structuré, scripturaire et engagé théologiquement a-t-il émergé ?

Certains avancent l’idée d’une influence indirecte ou orale : Muhammad aurait entendu des récits bibliques via des marchands, des moines, ou des chrétiens arabes. Le Coran lui-même évoque cette accusation de son entourage :

« Nous savons qu’ils disent : « Quelqu’un l’instruit ! » Mais la langue de celui auquel ils font allusion est étrangère, et ceci est une langue arabe claire. »
(Coran, 16:103)

Le Coran réfute donc l’idée d’une influence étrangère directe, affirmant que le texte vient de Dieu, révélé en arabe pur, accessible à son peuple.


4. Controverses historiques : entre foi et critique

Les études critiques modernes sur les origines de l’islam s’intéressent aux écarts entre le récit traditionnel et les sources historiques disponibles. Parmi les points débattus :

  • L’absence de sources contemporaines non musulmanes mentionnant Muhammad avant plusieurs décennies.
  • Le rôle des hadiths (traditions prophétiques), souvent compilés bien après sa mort, et leur fiabilité historique.
  • La rédaction progressive du Coran, certains chercheurs proposant qu’il ait été compilé sur plusieurs générations et que plusieurs versions du Coran étaient en circulation (ce que rejette la tradition musulmane, qui affirme une compilation peu après la mort du Prophète).

D’autres controverses portent sur le fait que le mot « islam » et l’identité « musulmane » semblent apparaître progressivement, dans les inscriptions et documents officiels du 7e siècle, parfois en parallèle avec des pratiques encore très proches du judaïsme ou du christianisme oriental.


5. Une religion nouvelle ou un retour aux sources ?

Pour les musulmans, l’islam n’est pas une religion nouvelle, mais le retour à la religion d’Abraham (Ibrahim), pur monothéiste :

« Abraham n’était ni juif ni chrétien. Il était monothéiste, musulman, et ne fut point parmi les associateurs. »
(Coran, 3:67)

Le Coran se voit donc non comme une innovation, mais comme la restauration du message originel, corrompu ou oublié par les traditions ultérieures. Ce point de vue diverge des perspectives historiques modernes, mais il constitue le cœur même de la foi musulmane.